vendredi 5 décembre 2025

La pratique de la médecine de ma mère

La pratique de la médecine de ma mère 

Un conte campagnard débridé


Ce que je vais raconter ici est assez proche de la vérité si la vérité peut exister sur cette planète expérimentale. Les actes médicaux remontent entre les années 1940 et 1960. Je ne m’attarderai pas sur le rôle d’infirmière de maman quand mon père ayant subi une stomie devait se faire désinfecter le rectum chaque matin. 

Non je préfère m’attarder sur ces autres actes médicaux, mais commençons par la prévention qui est tellement importante pour contrer des épidémies. Avec ses onze enfants en plus de son mari, c’était d’une plus haute importance. 

Un incontournable était de se voir accrocher un morceau de linge contenant du camphre. Dès que l’automne se pointait, elle nous accrochait sur un vêtement intérieur aussi un scapulaire. C’était la partie la plus ésotérique de sa médecine. Ah je ne dois pas oublier les liquides préventifs comme le sirop Mathieu ou de l’Algarol. Elle nous aurait bien acheté des vitamines mais notre extrême pauvreté ne le permettait pas. Ah j'oubliais aussi l'huile de foie de morue qu'on recrachait parfois dans l'évier tellement on détestait le goût amer. Je me suis fait mettre sur l'estomac parfois une couche de viks vaporub. Les moufettes s'éloignaient de moi en vitesse.

Arrivons maintenant à nos accidents sur la ferme qui auraient pu avoir un dénouement tragique. Indéniablement avec un sang-froid extrême, ma mère se devait de trouver la meilleure solution médicale possible. Vous vous imaginez bien qu’avec onze enfants et pratiquement aucune surveillance dans les bois, dans l’étable ou dans la grange, notre lieu de prédilection pour jouer à Tarzan, des accidents pouvaient arriver d’un moment à l’autre. Comment nous surveiller quand elle avait tant à faire dans la maison ?

Mon frère Richard en jouant sur un tas de planches s’était rentré un clou dans un pied. Je me souviens avec horreur de la vue du clou qui sortait pratiquement et ce sang avec lequel elle aurait pu faire du boudin. Gardant son sang-froid, elle arriva avec une serviette mouillée non aseptisée évidemment pour essayer de retrouver ce qui était son pied. Une fois le pied épongé, elle enroula autour de sa plaie deux couennes de lard dans une serviette qui devait traîner à quelque part. Et la guérison opéra. 

Il m’était arrivé un accident semblable, mais avec un «caneur » qui servait à faire diverses conserves en prévision de l’hiver. En ouvrant une boîte, je m’étais fait une profonde entaille près du petit doigt gauche. La peau rebondissait. Ma mère adopta la même stratégie que celle utilisée pour mon frère Richard : une couenne de lard en bandant ma main pour bien la tenir en place. Encore aujourd’hui, alors que je suis octogénaire, je contemple les traces laissées par ce fâcheux accident. 

Je termine en vous racontant une anecdote personnelle de nature sexuelle. Si vous avez des scrupules, arrêtez votre lecture ici. C’était dans le temps des foins. Je devais avoir sept ou huit ans. On venait de vider le rack à «ridelles» et j’étais chargé de tenir les «bénoires» pendant que la voiture descendait la pente attenante à la grange. Arriva ce qui devait arriver. Un côté de la «bénoire» vint s’écraser sur mes testicules. Poussant un cri de mort à réveiller tout le rang Sainte-Évelyne, ma mère accourut précipitamment. 

La situation était délicate. Quel diagnostic faire et comment évaluer la gravité de ce choc terrible aux testicules ? Un éclair de génie illumina son visage, car une solution était apparue dans son cerveau. Elle fit venir mon frère Denis qui avait treize mois de plus que moi et qui devait avoir les testicules à peu près de la même taille. Je ne me souviens pas si mes autres frères et ma sœur aînée regardaient l’auscultation. 

Elle demanda à mon frère Denis de baisser pantalon et caleçon pour comparer nos testicules réciproques. Après des minutes interminables alors que j’étais presqu’à l’agonie, elle décréta avec la certitude des plus grands chirurgiens qu’étant tout à fait semblables à celles de mon frère, je n’avais qu’à aller me coucher au grenier et que le tout reviendrait à la normale. Comme récompense, je ne fis aucun travail à la ferme les jours suivants. Cela explique peut-être mon vœu de chasteté consacré jusqu’à ma sortie des Jésuites à l’âge de trente ans. Cela ne m'a pas empêché d'être le père de trois magnifiques enfants dont je suis tellement fier.


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