dimanche 14 décembre 2025

Toute une fermière

 

Toute une fermière

Souvenir campagnard débridé


Quand je pense aux multiples talents de ma mère et de toutes ces femmes de son époque, je reste secoué par une admiration qui frise l’extase. Fermière, elle fut et occupa même un poste dans le CA de Saint-Jean-de-la-Lande. Les réunions se tenaient dans la salle paroissiale et c’est là aussi que chaque année ces fermières organisaient une exposition de leurs créations. On y retrouvait des bavettes, des bas, des napperons, des tabliers, etc.

Je me souviens étant fort jeune de certaines après-midi d’hiver où ma mère filait. On avait à cette époque des moutons et il fallait carder la laine. Ce rouet avec son étrange bruit n’a jamais quitté mes souvenirs. Je vois encore ma mère trempé sa laine dans un seau pour la colorer. C’était une chimiste qui aurait pu travailler aux lainages de Saint-Victor. Avec cette laine, elle nous tricotait des bas, des foulards, etc.

C’est sur son moulin à coudre que ma mère exécutait ce qui allait nous revêtir. Je la vois encore avec ses patrons étalés sur la table et y placer le tissu qui allait devenir nos chemises et nos pantalons et les robes de Francine et d’Odette. J’ai encore chez moi le moulin à coudre de ma belle-mère que vous voyez sur la photo. C’est une relique du passé me servant à y placer un bouquet de fleurs.

Pour nourrir sa nombreuse famille, il fallait des talents de cuisinière. Je me souviens de l’époque bénie où Blond Cloutier venait avec son «bateux» moudre notre avoine. Ma mère redoublait d’ardeur et d’ingéniosité à la cuisine pour impressionner cet homme. Elle nous concoctait alors des tartes dont une aux patates qui était un pur délice. J’en rêve encore la nuit où le sommeil tarde à venir.

Que dire de la fameuse tire à la Sainte-Catherine du mois de novembre. En arrivant de notre école primaire on humait déjà de loin cet élixir fait avec farine et mélasse.

Chaque semaine, une montagne de pain était nécessaire pour nourrir sa tribu. Je la vois encore pétrir son pain et voir le miracle s’opérer et voir apparaître cette rondeur blanche remplir son plat et cet arôme envahissant toute la maisonnée se rendant jusqu’à l’étable.

Un incontournable sur une ferme était le poulailler. Évidemment le coq nous réveillait le matin. Pas besoin d’un Apple Watch. Les œufs étaient indispensables dans la cuisine. Ma mère veillait jalousement sur ses poules. Elle me raconta qu’un certain temps jadis des poules disparaissaient du poulailler. Pour en avoir le cœur net, elle décida d’espionner la nuit ce qui se passait autour pour découvrir que c’était une belette qui était la prédatrice. Elle attendit que la belette sorte par le petit trou pour lui asséner un coup fatal qui l’envoya dans le royaume astral animal.

Cependant il y a une scène qui me causait une frayeur impitoyable. Il fallait bien que ma mère sacrifie une poule de temps en temps pour nous nourrir. La scène était cruelle à voir et j’en ai encore des frisons. Elle suspendait la poule à sacrifier par les pattes et lui enfonçait un couteau dans le bec pour la saigner. Évidemment la poule gigotait jusqu’à rendre l’âme si âme une poule a. Mon beau-frère Martin avait une autre technique plus radicale. Il lui plaçait la tête sur une bûche et d’un coup de hache lui coupait le cou d’où vient l’expression courir comme une poule sans tête.

Je pourrais décrire encore longtemps tous les métiers artisanaux de mère.  La baratte à beure qu’on actionnait et dont le petit lait nous donnait de succulentes tire-liche. Je pourrais décrire longuement ses talents en jardinage et en ornementation florale. Cela suffit pour affirmer sans l’ombre d’un doute qu’elle était toute une fermière.

 

jeudi 11 décembre 2025

Le mystère de la vie

 

Le mystère de la vie

Souvenirs campagnards débridés

                                         


On se l’est fait servir souvent quand on posait une question embarrassante : C’est un mystère. Par exemple chercher à savoir comment Marie a pu mettre au monde Jésus tout en restant vierge. Aucun prêtre n’avait une réponse scientifique. On se réfugiait dans un acte de foi ou un mystère.

À la question que je pouvais poser d’où venait les si nombreux enfants que ma mère mettait au monde, on recevait une réponse très énigmatique. C’était les sauvages qui les amenaient. Aujourd’hui on dirait comme dans La petite vie que c’est un terme culturel d’époque que ce mot. Cette réponse laissait un doute dans mon esprit pour plusieurs raisons. La plus évidente est que je n’avais jamais vu un sauvage aux environs de la maison. Le seul qu’on pouvait voir dans les hôtels de Saint-Georges était Bill Wabo, un personnage de la populaire série d’Un homme et son péché. Pas certain que cet acteur était un amérindien. Peut-être dans sa descendance.

Ma mère a accouché à la maison presque tous ses enfants, sauf les trois derniers. Le rituel était toujours le même. Elle vidait la maison de ses enfants et les envoyait chez sa voisine d’en face du nom d’Albertine. Mon regard curieux d’enfant naïf observait de la fenêtre l’arrivée du docteur Rodolphe Maheu avec sa petite valise noire. J’appris plus tard que ma mère lui avait préparé un gros plat de fèves au lard pour le sustenter, car l’accouchement pouvait être assez long. Cependant il devait toujours avoir dans sa valise noire un forceps pour forcer plus rapidement la venue de l’enfant ce qui lui permettrait de regagner Saint-Georges plus rapidement.

Il faut dire qu’à cette époque religieuse où la morale était rigide. La sexualité était un sujet tabou. Pas question d’assister à l’accouchement de nos frères et sœurs. On ne parlait jamais de sexualité à la maison. Même ce qui est étonnant, la morale sexuelle rigoureuse était appliquée même à la ferme. Les jeunes enfants n’avaient pas le droit de se pointer à l’étable pour voir une vache mettre au monde son veau. Il en était de même pour la truie et ses cochonnets.

Cependant il était un endroit où on ne pouvait appliquer les interdictions. C’était quand j’allais chercher les vaches pour la traite.  Je regardais avec un grand étonnement le bœuf enfourcher une des vaches prête à recevoir la précieuse semence. Je restais contemplatif et étonné à scruter la longueur étonnante de l’instrument du taureau. J’en rêvais presque la nuit. L’autre activité qui commençait à me mettre une puce à l’oreille était quand on allait promener la truie chez le verrat reproducteur de Mendoza Vachon. À voir toute la satisfaction et la maîtrise du porc, je n’arrivais pas encore étant trop naïf à faire le lien avec les humains.

Alors une question vous hante. Quand ai-je appris vraiment comment les humains se reproduisaient. Le doute commença à s’installer lors des dimanches. Bien sûr, on allait à la messe et c’était un jour de repos sauf s’il y avait apparence de pluie.  Le curé permettait qu’on ramasse le foin. Il y avait un rituel du dimanche à la maison. Chaque après-midi nos parents nous demandaient d’aller jouer dehors et de ne pas rentrer dans la maison sous aucun prétexte. Un fois alors que j’avais soif, j’ai désobéi. En buvant ma gorgée d’eau actionné par une pompe, j’entendais des roucoulements étranges venant de la chambre à coucher de mes parents la porte étant fermée évidement. Ce n’est que rendu à l’adolescence que j’ai fait le lien.

La vérité éclata un certain jour quand un copain de mon école primaire me fit une confidence étonnante qui alluma définitivement une chandelle dans mon petit cerveau innocent. Ce dernier avait vu une auto garée sur le bord du chemin dans le rang Sainte-Évelyne. Curieux il jeta un regard furtif par la fenêtre arrière de ce Ford 1944. Il vit sidéré un homme et une femme accomplir l’acte non-conjugal sur la banquette arrière de l’auto. Il me raconta ce qu’il avait vu encore sous le coup de l’émotion et avec son cœur qui battait la chamade. Pour moi ce fut définitivement la révélation sans équivoque du mystère de la vie. Restait la question à savoir si l’archange Gabriel avait fait la même chose avec la vierge Marie sur un nuage loin du regard des humains, mais cela reste toujours un mystère pour moi à résoudre.

lundi 8 décembre 2025

Les peurs de Florence

 

Les peurs de Florence

Souvenirs campagnards débridés


On a tous des peurs évidemment mais les peurs de Florence, ma mère, sont assez légendaires. Rien ne paraissait. Il fallait vivre avec elle pour s’en rendre compte. C’était une femme superstitieuse et très dévote. Je jouais dehors après le souper et un cri retentissant nous appelait pour la récitation quotidienne du chapelet. Avachis sur nos chaises l’un de nous partait le bal. Assez souvent ma mère ajoutait à la fin du chapelet une série de litanies qui n’en finissait plus. À croire qu’elle connaissait personnellement tous les saints et toutes les saintes du ciel. 

Assez souvent un miracle se produisait. On voyait la petite lampe de poche allumée qui s’amenait chez nous en soirée. Alors rapidement on se relevait et ma mère ramassait ce qui traînait. C’était notre voisin Hector Poulin qui venait veiller et raconter plein d’anecdotes surtout sur le dos des autres voisins. C’était pour nous une délivrance et un moment social important. On écoutait la conversation entre Hector et Eugène religieusement. 

Mais revenons aux peurs de Florence. La plus spectaculaire était lors des orages où le tonnerre grondait à nous briser les tympans des oreilles. Alors le cérémonial de conjuration des éléments commençait. Elle gardait précieusement à quelque part dans sa maison de l’eau bénite et des rameaux d’olivier ramenés lors de la Semaine sainte. Fusait alors de partout le mantra suivant : «Notre Dame des oliviers secourez-nous, sauvez-nous.» Répétez à maintes reprises, cela produisait un effet apaisant, mais n’empêchait en rien le tonnerre de gronder. 

L’autre peur proverbiale de ma mère était les ours. Jamais durant toute mon enfance et mon adolescence j’en ai vu un se pointer. Nous avions un boisé sur chacune de nos deux terres. On aimait aller cueillir des noisettes à l’automne. Ces noisettes qu’on cachait dans la tasserie et après quelques semaines, on les dégustait. Il fallait faire cette excursion en cachette en désobéissant à notre mère qui était certaine que les ours nous auraient dévorés. Enfin on avait un péché à confesser au curé. 

Une autre désobéissance consistait à aller patiner au village durant l’hiver. Ma mère ne voulait jamais qu’on monte à pied à la patinoire sous plusieurs prétextes : la noirceur, le froid, la fatigue, le lointain. Pourtant c’était seulement à deux longueurs de trente arpents. À peine une demi-heure de marche pour les solides gaillards que nous étions. C’était une mère protectrice qui veillait sur sa couvée. On y allait quand même malgré un autre péché de désobéissance. 

Je termine avec une dernière peur extrême que ma mère nous raconta plusieurs fois. C’était au début de son mariage avec Eugène. Elle allait parfois chercher les vaches dans le clos du pâturage situé près du boisé. Parmi les vaches laitières, il y avait le bœuf reproducteur. Il veillait jalousement sur son troupeau et acceptait difficilement des intrus. Or une bonne fois, il sortit de ses gonds et fonça sur ma mère qui se réfugia de justesse sur un tas de roches. Mon père ne voyant pas arriver sa princesse se porta à son secours. Je crois qu’elle n’a plus jamais retourné chercher les vaches. Heureusement car je ne serais plus de ce monde pour vous raconter ces histoires.

 

 


vendredi 5 décembre 2025

La pratique de la médecine de ma mère

La pratique de la médecine de ma mère 

Souvenirs campagnards débridés


Ce que je vais raconter ici est assez proche de la vérité si la vérité peut exister sur cette planète expérimentale. Les actes médicaux remontent entre les années 1940 et 1960. Je ne m’attarderai pas sur le rôle d’infirmière de maman quand mon père ayant subi une stomie devait se faire désinfecter le rectum chaque matin. 

Non je préfère m’attarder sur ces autres actes médicaux, mais commençons par la prévention qui est tellement importante pour contrer des épidémies. Avec ses onze enfants en plus de son mari, c’était d’une plus haute importance. 

Un incontournable était de se voir accrocher un morceau de linge contenant du camphre. Dès que l’automne se pointait, elle nous accrochait sur un vêtement intérieur aussi un scapulaire. C’était la partie la plus ésotérique de sa médecine. Ah je ne dois pas oublier les liquides préventifs comme le sirop Mathieu ou de l’Algarol. Elle nous aurait bien acheté des vitamines mais notre extrême pauvreté ne le permettait pas. Ah j'oubliais aussi l'huile de foie de morue qu'on recrachait parfois dans l'évier tellement on détestait le goût amer. Je me suis fait mettre sur l'estomac parfois une couche de viks vaporub. Les moufettes s'éloignaient de moi en vitesse.

Arrivons maintenant à nos accidents sur la ferme qui auraient pu avoir un dénouement tragique. Indéniablement avec un sang-froid extrême, ma mère se devait de trouver la meilleure solution médicale possible. Vous vous imaginez bien qu’avec onze enfants et pratiquement aucune surveillance dans les bois, dans l’étable ou dans la grange, notre lieu de prédilection pour jouer à Tarzan, des accidents pouvaient arriver d’un moment à l’autre. Comment nous surveiller quand elle avait tant à faire dans la maison ?

Mon frère Richard en jouant sur un tas de planches s’était rentré un clou dans un pied. Je me souviens avec horreur de la vue du clou qui sortait pratiquement et ce sang avec lequel elle aurait pu faire du boudin. Gardant son sang-froid, elle arriva avec une serviette mouillée non aseptisée évidemment pour essayer de retrouver ce qui était son pied. Une fois le pied épongé, elle enroula autour de sa plaie deux couennes de lard dans une serviette qui devait traîner à quelque part. Et la guérison opéra. 

Il m’était arrivé un accident semblable, mais avec un «caneur » qui servait à faire diverses conserves en prévision de l’hiver. En ouvrant une boîte, je m’étais fait une profonde entaille près du petit doigt gauche. La peau rebondissait. Ma mère adopta la même stratégie que celle utilisée pour mon frère Richard : une couenne de lard en bandant ma main pour bien la tenir en place. Encore aujourd’hui, alors que je suis octogénaire, je contemple les traces laissées par ce fâcheux accident. 

Je termine en vous racontant une anecdote personnelle de nature sexuelle. Si vous avez des scrupules, arrêtez votre lecture ici. C’était dans le temps des foins. Je devais avoir sept ou huit ans. On venait de vider le rack à «ridelles» et j’étais chargé de tenir les «bénoires» pendant que la voiture descendait la pente attenante à la grange. Arriva ce qui devait arriver. Un côté de la «bénoire» vint s’écraser sur mes testicules. Poussant un cri de mort à réveiller tout le rang Sainte-Évelyne, ma mère accourut précipitamment. 

La situation était délicate. Quel diagnostic faire et comment évaluer la gravité de ce choc terrible aux testicules ? Un éclair de génie illumina son visage, car une solution était apparue dans son cerveau. Elle fit venir mon frère Denis qui avait treize mois de plus que moi et qui devait avoir les testicules à peu près de la même taille. Je ne me souviens pas si mes autres frères et ma sœur aînée regardaient l’auscultation. 

Elle demanda à mon frère Denis de baisser pantalon et caleçon pour comparer nos testicules réciproques. Après des minutes interminables alors que j’étais presqu’à l’agonie, elle décréta avec la certitude des plus grands chirurgiens qu’étant tout à fait semblables à celles de mon frère, je n’avais qu’à aller me coucher au grenier et que le tout reviendrait à la normale. Comme récompense, je ne fis aucun travail à la ferme les jours suivants. Cela explique peut-être mon vœu de chasteté consacré jusqu’à ma sortie des Jésuites à l’âge de trente ans. Cela ne m'a pas empêché d'être le père de trois magnifiques enfants dont je suis tellement fier.


mardi 2 décembre 2025

Visite dans l’au-delà

 Visite dans l’au-delà

Confidences débridés


Avançant en âge, j’avais décidé de m’abonner à un gym, question de garder en forme ce vieux corps d’octogénaire. En plus de faire religieusement mes exercices, je socialisais avec d’autres personnes aussi mal foutues que moi. Comme je suis un être curieux et très intéressé par la condition humaine, je recevais assez souvent des confidences. 

Or quelques jours avant Noël, soucieux de prévoir que mon corps sorte indemne de toutes ces sortes de denrées propres à ajouter bien du poids à mon être, j’intensifiai mes exercices. Sur le point de quitter le gym ce jour-là, je vis un homme exténué qui tirait de la langue et éprouvait de la difficulté à respirer. Je voulus en savoir plus sur son état de santé. 

J’entrepris alors une longue conversation où il me raconta que pendant bien des années, il pensait souffrir d’angoisse quand il avait peine à respirer. Mais un bon jour, vraiment mal en point, il sauta dans son auto pour se rendre à une pharmacie pour quérir des pilules. Arrivé dans le stationnement, il perdit connaissance n’ayant même pas le temps de fermer le moteur. 

Il se réveilla plusieurs heures plus tard aux soins intensifs de l’hôpital. Après plusieurs examens, le médecin lui révéla qu’il avait une grave maladie pulmonaire dont j’oublie le nom et que ce problème, il le traînait depuis plusieurs années. Notre homme avait fait fausse route en pensant qu’il souffrait périodiquement d’angoisse. 

Curieux comme je suis, je lui demandai s’il s’était passé quelque chose pendant tout ce temps où il avait perdu connaissance. C’est alors qu’il me révéla ce que bien d’autres personnes ont vécu et dont ils ne parlent pas sous peine de passer pour des fous. C’est comme s’il devint un être de lumière où il se sentait tellement bien et en paix. C’est difficile à décrire et les mots manquent pour illustrer cette réalité qui dépasse tout ce qu’on pourrait imaginer. 

Alors la question existentielle par excellence fut de lui demander pourquoi il était revenu dans son corps malgré son grave problème de santé. Sa réponse fut celle que plusieurs personnes donnent. Il fallait qu’il s’occupe de sa femme qui souffrait d’une détresse mentale extrême et qui ne pouvait plus rien faire sinon rester cloîtrée dans le salon. L’amour inconditionnel de sa femme l’a fait revenir sur terre. S’il y a une chose à retenir de la venue du petit Jésus sur terre, c’est justement ce message d’amour. Cet homme l’incarnait parfaitement. Je retournai chez moi convaincu que nous, les humains, sommes plus grands qu’on a bien voulu nous le laisser croire.

 

samedi 29 novembre 2025

Cochonnerie

 

Cochonnerie

Souvenirs campagnards débridés


Quelques jours avant Noël un massacre se préparait entre la maison et l’étable. J’étais un jeune enfant à l’époque et surtout très sensible. Un rien trahissait mes émotions. Je n’étais vraiment pas fait pour une future carrière militaire. Ma mère voulait plutôt faire de moi un futur curé. Probablement qu'elle avait mesuré toute l’étendue de ma naïveté. J’étais son candidat manipulable idéal pour réaliser son saint rêve. 

Mais revenons à notre histoire de cochon. Il fallait bien nourrir cette famille de dix enfants. Le cochon était la victime à immoler pour répondre à ce besoin vital évident. Il y avait bien pendant l’hiver le meurtre d’un veau gardé précieusement depuis le printemps précédent pour nous sustenter pour le reste de l’hiver. L’abattage de ce veau me donne encore des sueurs froides au dos. Mon père prenait le talon de sa hache en fer pour le tuer. Un coup sec le faisait tomber à genoux et un second faisait le reste. 

Mais revenons à notre histoire de cochon. Mon père était incapable de lui viser le cœur avec un couteau. Alors il faisait venir du village Paul Caron un expert en la matière. Adroitement il lui transperçait le cœur pendant que ma mère avec sa poêle recueillait le précieux sang servant à faire du boudin. Après avoir cuit ce sang avec les assaisonnements nécessaires, elle insérait habilement le tout dans les intestins du cochon. 

Mais le pire restait à venir : voir le cochon suspendu à une échelle pour mieux le dépecer. Quelle funeste fin pour cet être que j’aimais le plus à la ferme. J’aimais l’entendre grogner. Je lui donnais des pommes, des morceaux de citrouilles, des pelures de patates. Il avalait le tout et d’un coup de tête semblait me remercier. Évidement il trônait sur la table lors des repas des fêtes, mais je ne pouvais empêcher certaines images de circuler dans ma tête alors que je le mangeais. 

J’ai toujours pensé que le cochon était traité injustement. On nous disait d’arrêter de manger comme des cochons, de boire comme un cochon, de ramasser nos cochonneries. Si on n’obéissait pas, on avait une tête de cochon. J’aurais aimé que ma mère place un cochon au lieu d’un bœuf près de la crèche du petit Jésus pour le réchauffer. 

 



mercredi 26 novembre 2025

La belle Juliette

 

La belle Juliette

Souvenirs campagnards débridés

Le Noël suivant, celui de la perte de ma toupie, mon père revint en convalescence à la maison. Ma mère en plus de s’occuper de la maison du matin à très tard le soir devint l’infirmière qui s’occupait de la plaie laissée dans le rectum de mon père. Je la vois encore avec mes petits yeux d’un enfant de sept ans désinfecter méticuleusement la dite plaie. 

Mon frère, l’aîné de la famille dut arrêter sa sixième année du primaire à l’école numéro sept du rang Sainte-Évelyne. Cette école recevait une vingtaine d’enfants de cultivateurs. Une truie, une sorte de poêle à deux ponts, réchauffait tant bien que mal la partie où étaient alignés les pupitres et l’autre partie qui servait de logis durant la semaine à notre maîtresse Thérèse Quirion. 

C’est là que je me suis rendu jusqu’à ma septième année avec des maîtresses qui se succédaient. La dernière Bibiane Labrecque fut mise à la porte parce qu’elle gardait les «cruchons» après l’école. Les cultivateurs se révoltèrent et réclamèrent le renvoi de cette femme qui retardait leurs enfants pour accomplir les travaux à la ferme. 

Faut dire que l’année scolaire avait mal commencé. Une jeune institutrice d’à peine dix-sept ans, la belle Juliette Bourque que le curé de la paroisse amenait religieusement le lundi et qu’il ramenait tout aussi religieusement le vendredi ne fit pas long feu. Elle n’avait pas les diplômes nécessaires pour enseigner et craignait la visite annuelle de l’inspecteur Pagé qui aurait découvert le tout.

Tard le soir, on cogna à la porte chez nous. Mon père dormait déjà et fut réveillé par la visite inattendue du curé qui venait implorer le paternel qui était commissaire de m’envoyer à l’école du village ainsi que Claude Quirion l’autre élève de septième année. Mon père entra dans une sainte et violente colère et indiqua au curé qu’il n’en était pas question, qu’il payait des taxes et ne pouvait envoyer son fils au village sans moyen de transport. 

C’est ainsi que ma belle jeune institutrice nous abandonna et fut remplacée plusieurs semaines plus tard par cette sévère Bibiane que les cultivateurs expulsèrent aussi. Mais je me suis égaré et j’ai sauté des années oubliant ainsi de continuer à écrire sur le retour de mon père de l’hôpital. Inutile de vous dire que ce Noël-là les cadeaux furent rares et pas question d’atteler le Negue pour aller à la messe de minuit. Le retour de notre papa fut notre cadeau de Noël.

 

dimanche 23 novembre 2025

Edgar la prune

 

Edgar la prune

Souvenirs campagnards débridés


Quand je regardais par la fenêtre de la grande chambre où presque tous nous nous couchions en hiver, j’apercevais au loin une lumière qui brillait toute la nuit. C`était en fait la maison située près du croche dans notre rang, la fameuse courbe où mon frère aîné avait été témoin d’un terrible accident qui avait décimé la famille de Zéphirin Fortin.

         Or donc, cette maison où était accrochée cette ampoule qui me fascinait appartenait à celui qu’on appelait Edgar la prune. On devine bien pourquoi on l’avait affublé d’un tel nom. On n’a pas besoin d’avoir la tête à Papineau pour nous rendre compte de cette grosse bosse qu’il avait au front. 

Edgar n’avait jamais mis les pieds à l’église et refusait systématiquement que le curé entre chez lui lors de sa visite paroissiale annuelle. Moi à l’adolescence, alors que je fréquentais le Petit Séminaire de Saint-Georges, une usine à faire des curés, j’étais vraiment intrigué par le comportement de cet homme. Surtout que je me destinais à la prêtrise, non pas que c’était vraiment ma volonté, mais bien celle de ma mère. Rendu à son quatrième garçon, elle décida à sa naissance de lui donner comme deuxième prénom celui de Donat, en l’honneur de Donat Tanguay, un curé intégriste préoccupé par la tenue vestimentaire de ses paroissiennes. Pendant toute mon enfance et mon adolescence, on me considérait déjà comme le prêtre de la famille.

À l’adolescence étant un peu moins gêné, je décidai un vingt-quatre décembre d’en avoir le cœur net. J’allai cogner à sa porte pour lui poser des questions et vérifier pourquoi il refusait systématiquement la pratique religieuse. Il me reçut poliment et m’invita à m’asseoir à la table de la cuisine.

-        Monsieur on ne vous voit jamais à la messe et le bruit coure que vous ne croyez pas en Dieu et encore moins à son Église où il est dit : Hors de l’Église point de salut.

-        Pauvre garçon qu’est-ce que j’ai à foutre de toutes ces croyances. Toi qui veux aller à la messe de minuit, crois-tu vraiment qu’il va naître ton petit Jésus ce soir ? Crois-tu vraiment qu’une femme peut mettre un enfant au monde et rester vierge ? Tu veux devenir prêtre pour propager toutes ces balivernes ? 

Je restai bouche bée et étonné par tant de franchise. Il me parla alors longuement de toutes ces croyances comme l’infaillibilité papale, de ces saintes et ces saints que l’on invoque, de tous ces pseudo-péchés dont on s’accuse. Je constatai que cet homme était un être réfléchi dont j’admirais la franchise. Il n’était pas un mouton qui bêle comme tous les autres dans une bergerie. 

Je retournai chez moi tout remué. C’était la première fois que j’entendais de tels propos. Un doute commença à s’installer dans mon être sur la pertinence de ma future vocation sacerdotale. Mais pas assez pour y renoncer. C’est à l’aube de la trentaine après des études en théologie et étant à la veille d’être ordonné que la lumière fut et qu’Edgar devint mon modèle à suivre.

 


jeudi 20 novembre 2025

La toupie

 

La toupie

Souvenirs campagnards débridés

 


             Je devais avoir à peine six ans, un an avant que mon pauvre papa soit hospitalisé et devienne handicapé par une funeste stomie qui le laissa invalide à trente-six ans seulement. Imaginez avoir un tel handicap quand on a déjà une famille de neuf enfants sur une terre qui pouvait à peine fournir le foin nécessaire pour ses quelques vaches.

Revenons un an auparavant et demandons à ma mémoire enfantine de raconter cette époque de Noël dans ce rang où les bancs de neige cachaient pendant l’hiver les quelques pauvres mansardes des voisins. À cette époque, je naviguais entre le rêve et le réel ayant une imagination très fertile.

        Deux événements remontent à ma mémoire. Commençons par le premier où la tradition était de nous rendre à la messe de minuit. Pas tous, car la cabine verte tirée par notre Negue, un cheval noir canadien, ne pouvait pas contenir toute cette tribu familiale. Ce soir-là vers onze heures, le temps qu’il fallait pour traverser deux longueurs de terre de trente arpents, une terrible tempête de neige s’abattait rendant le chemin à peine visible.

         Arriva ce qui devait arriver. Mon père ne pouvait plus distinguer entre ce qui était le chemin et les bancs de neige. La cabine faillit se renverser provoquant des cris stridents qui effrayèrent notre pauvre Negue. Par miracle, la cabine réussit à ne pas renverser et nous pûmes nous rendre à temps à l’église pour entendre le fameux Minuit chrétien.

Ma mère était restée à la maison pour préparer ses tourtières qu’elle nous servait lors de notre retour. Après ce copieux repas, tous les enfants regagnèrent leurs lits. Un seul poêle réchauffait la maison et on se couchait tous ensemble dans les quelques lits disponibles en haut de la trappe qui amenait de peine et de misère la chaleur.

         Le matin j’avais hâte de retrouver ce que le Père Noël avait bien pu nous apporter comme cadeau. Tous nous avions au moins une pomme et une orange et les plus chanceux une paire de bas tricoté par notre si douce et dévouée maman alors qu’elle allaitait son dernier-né. Ce Noël-là, je m’en souviendrai toute ma vie même si je suis maintenant un vieil octogénaire. Je trouvai au pied de l’arbre de Noël venant de mon parrain ou de ma marraine une belle toupie toute colorée que je pouvais faire tourner en appuyant sur le mécanisme approprié.

        Comment pensez-vous que fut la durée de vie de ma précieuse toupie, le seul cadeau que je reçus durant toute mon enfance ? À peine une journée car mes frères en âge de jouer se précipitèrent sur ma précieuse toupie qui rendit l’âme le soir même du 25 décembre. Encore aujourd’hui, inconsolable, je pleure la perte de ma précieuse toupie.

 

 

dimanche 16 novembre 2025

Si j’avais une lettre à écrire

 


Je ne sais pas à qui l’adresser

Trop de récipiendaires monstrueux

Vous les connaissez trop bien

Vous les avez dans la face sur vos écrans

 

Je leur dirais qu’ils sont des êtres primitifs

Envoyer des jeunes soldats se faire tuer

Soit pour agrandir son territoire

Soit pour voler leurs terres rares

 

Qui peut pousser une mère à envoyer son fils

Pour tuer des pauvres gens qui n’ont rien fait

Que de vouloir vivre dans la sainte paix

Pourquoi ne font-ils pas comme Boris : déserter

 

Sont-ils nés sur terre pour faire la guerre

Ne rêvent-ils pas de fonder un foyer

D’aimer leur femme et leurs enfants

Oui rêver d’un avenir meilleur

 

Désertez mes frères oui désertez

Refusez cette guerre primitive et stupide

Et mon pays qui se prépare à dépenser des milliards

Au cas où des êtres insipides viendraient

Nous attaquer nous attaquer nous attaquer