La toupie
Conte débridé de Noël
Je
devais avoir à peine six ans, un an avant que mon pauvre papa soit hospitalisé
et devienne handicapé par une funeste stomie qui le laissa invalide à trente-six
ans seulement. Imaginez avoir un tel handicap quand on a déjà une famille de
neuf enfants sur une terre qui pouvait à peine fournir le foin nécessaire pour
ses quelques vaches.
Revenons
un an auparavant et demandons à ma mémoire enfantine de raconter cette époque de
Noël dans ce rang où les bancs de neige cachaient pendant l’hiver les quelques
pauvres mansardes des voisins. À cette époque, je naviguais entre le rêve et le
réel ayant une imagination très fertile.
Deux
événements remontent à ma mémoire. Commençons par le premier où la tradition
était de nous rendre à la messe de minuit. Pas tous, car la cabine verte tirée
par notre Negue, un cheval noir canadien, ne pouvait pas contenir toute cette
tribu familiale. Ce soir-là vers onze heures, le temps qu’il fallait pour
traverser deux longueurs de terre de trente arpents, une terrible tempête de
neige s’abattait rendant le chemin à peine visible.
Arriva
ce qui devait arriver. Mon père ne pouvait plus distinguer entre ce qui était
le chemin et les bancs de neige. La cabine faillit se renverser provoquant des
cris stridents qui effrayèrent notre pauvre Negue. Par miracle, la cabine
réussit à ne pas renverser et nous pûmes nous rendre à temps à l’église pour
entendre le fameux Minuit chrétien.
Ma
mère était restée à la maison pour préparer ses tourtières qu’elle nous servait
lors de notre retour. Après ce copieux repas, tous les enfants regagnèrent
leurs lits. Un seul poêle réchauffait la maison et on se couchait tous ensemble
dans les quelques lits disponibles en haut de la trappe qui amenait de peine et
de misère la chaleur.
Le
matin j’avais hâte de retrouver ce que le Père Noël avait bien pu nous apporter
comme cadeau. Tous nous avions au moins une pomme et une orange et les plus
chanceux une paire de bas tricoté par notre si douce et dévouée maman alors
qu’elle allaitait son dernier-né. Ce Noël-là, je m’en souviendrai toute ma vie
même si je suis maintenant un vieil octogénaire. Je trouvai au pied de l’arbre
de Noël venant de mon parrain ou de ma marraine une belle toupie toute colorée
que je pouvais faire tourner en appuyant sur le mécanisme approprié.
Comment
pensez-vous que fut la durée de vie de ma précieuse toupie, le seul cadeau que
je reçus durant toute mon enfance ? À peine une journée car mes frères en âge
de jouer se précipitèrent sur ma précieuse toupie qui rendit l’âme le soir même
du 25 décembre. Encore aujourd’hui, inconsolable, je pleure la perte de ma
précieuse toupie.