lundi 8 décembre 2025

Les peurs de Florence

 

Les peurs de Florence

Un conte campagnard débridé


On a tous des peurs évidemment mais les peurs de Florence, ma mère, sont assez légendaires. Rien ne paraissait. Il fallait vivre avec elle pour s’en rendre compte. C’était une femme superstitieuse et très dévote. Je jouais dehors après le souper et un cri retentissant nous appelait pour la récitation quotidienne du chapelet. Avachis sur nos chaises l’un de nous partait le bal. Assez souvent ma mère ajoutait à la fin du chapelet une série de litanies qui n’en finissait plus. À croire qu’elle connaissait personnellement tous les saints et toutes les saintes du ciel. 

Assez souvent un miracle se produisait. On voyait la petite lampe de poche allumée qui s’amenait chez nous en soirée. Alors rapidement on se relevait et ma mère ramassait ce qui traînait. C’était notre voisin Hector Poulin qui venait veiller et raconter plein d’anecdotes surtout sur le dos des autres voisins. C’était pour nous une délivrance et un moment social important. On écoutait la conversation entre Hector et Eugène religieusement. 

Mais revenons aux peurs de Florence. La plus spectaculaire était lors des orages où le tonnerre grondait à nous briser les tympans des oreilles. Alors le cérémonial de conjuration des éléments commençait. Elle gardait précieusement à quelque part dans sa maison de l’eau bénite et des rameaux d’olivier ramenés lors de la Semaine sainte. Fusait alors de partout le mantra suivant : «Notre Dame des oliviers secourez-nous, sauvez-nous.» Répétez à maintes reprises, cela produisait un effet apaisant, mais n’empêchait en rien le tonnerre de gronder. 

L’autre peur proverbiale de ma mère était les ours. Jamais durant toute mon enfance et mon adolescence j’en ai vu un se pointer. Nous avions un boisé sur chacune de nos deux terres. On aimait aller cueillir des noisettes à l’automne. Ces noisettes qu’on cachait dans la tasserie et après quelques semaines, on les dégustait. Il fallait faire cette excursion en cachette en désobéissant à notre mère qui était certaine que les ours nous auraient dévorés. Enfin on avait un péché à confesser au curé. 

Une autre désobéissance consistait à aller patiner au village durant l’hiver. Ma mère ne voulait jamais qu’on monte à pied à la patinoire sous plusieurs prétextes : la noirceur, le froid, la fatigue, le lointain. Pourtant c’était seulement à deux longueurs de trente arpents. À peine une demi-heure de marche pour les solides gaillards que nous étions. C’était une mère protectrice qui veillait sur sa couvée. On y allait quand même malgré un autre péché de désobéissance. 

Je termine avec une dernière peur extrême que ma mère nous raconta plusieurs fois. C’était au début de son mariage avec Eugène. Elle allait parfois chercher les vaches dans le clos du pâturage situé près du boisé. Parmi les vaches laitières, il y avait le bœuf reproducteur. Il veillait jalousement sur son troupeau et acceptait difficilement des intrus. Or une bonne fois, il sortit de ses gonds et fonça sur ma mère qui se réfugia de justesse sur un tas de roches. Mon père ne voyant pas arriver sa princesse se porta à son secours. Je crois qu’elle n’a plus jamais retourné chercher les vaches. Heureusement car je ne serais plus de ce monde pour vous raconter ces histoires.

 

 


vendredi 5 décembre 2025

La pratique de la médecine de ma mère

La pratique de la médecine de ma mère 

Un conte campagnard débridé


Ce que je vais raconter ici est assez proche de la vérité si la vérité peut exister sur cette planète expérimentale. Les actes médicaux remontent entre les années 1940 et 1960. Je ne m’attarderai pas sur le rôle d’infirmière de maman quand mon père ayant subi une stomie devait se faire désinfecter le rectum chaque matin. 

Non je préfère m’attarder sur ces autres actes médicaux, mais commençons par la prévention qui est tellement importante pour contrer des épidémies. Avec ses onze enfants en plus de son mari, c’était d’une plus haute importance. 

Un incontournable était de se voir accrocher un morceau de linge contenant du camphre. Dès que l’automne se pointait, elle nous accrochait sur un vêtement intérieur aussi un scapulaire. C’était la partie la plus ésotérique de sa médecine. Ah je ne dois pas oublier les liquides préventifs comme le sirop Mathieu ou de l’Algarol. Elle nous aurait bien acheté des vitamines mais notre extrême pauvreté ne le permettait pas. Ah j'oubliais aussi l'huile de foie de morue qu'on recrachait parfois dans l'évier tellement on détestait le goût amer. Je me suis fait mettre sur l'estomac parfois une couche de viks vaporub. Les moufettes s'éloignaient de moi en vitesse.

Arrivons maintenant à nos accidents sur la ferme qui auraient pu avoir un dénouement tragique. Indéniablement avec un sang-froid extrême, ma mère se devait de trouver la meilleure solution médicale possible. Vous vous imaginez bien qu’avec onze enfants et pratiquement aucune surveillance dans les bois, dans l’étable ou dans la grange, notre lieu de prédilection pour jouer à Tarzan, des accidents pouvaient arriver d’un moment à l’autre. Comment nous surveiller quand elle avait tant à faire dans la maison ?

Mon frère Richard en jouant sur un tas de planches s’était rentré un clou dans un pied. Je me souviens avec horreur de la vue du clou qui sortait pratiquement et ce sang avec lequel elle aurait pu faire du boudin. Gardant son sang-froid, elle arriva avec une serviette mouillée non aseptisée évidemment pour essayer de retrouver ce qui était son pied. Une fois le pied épongé, elle enroula autour de sa plaie deux couennes de lard dans une serviette qui devait traîner à quelque part. Et la guérison opéra. 

Il m’était arrivé un accident semblable, mais avec un «caneur » qui servait à faire diverses conserves en prévision de l’hiver. En ouvrant une boîte, je m’étais fait une profonde entaille près du petit doigt gauche. La peau rebondissait. Ma mère adopta la même stratégie que celle utilisée pour mon frère Richard : une couenne de lard en bandant ma main pour bien la tenir en place. Encore aujourd’hui, alors que je suis octogénaire, je contemple les traces laissées par ce fâcheux accident. 

Je termine en vous racontant une anecdote personnelle de nature sexuelle. Si vous avez des scrupules, arrêtez votre lecture ici. C’était dans le temps des foins. Je devais avoir sept ou huit ans. On venait de vider le rack à «ridelles» et j’étais chargé de tenir les «bénoires» pendant que la voiture descendait la pente attenante à la grange. Arriva ce qui devait arriver. Un côté de la «bénoire» vint s’écraser sur mes testicules. Poussant un cri de mort à réveiller tout le rang Sainte-Évelyne, ma mère accourut précipitamment. 

La situation était délicate. Quel diagnostic faire et comment évaluer la gravité de ce choc terrible aux testicules ? Un éclair de génie illumina son visage, car une solution était apparue dans son cerveau. Elle fit venir mon frère Denis qui avait treize mois de plus que moi et qui devait avoir les testicules à peu près de la même taille. Je ne me souviens pas si mes autres frères et ma sœur aînée regardaient l’auscultation. 

Elle demanda à mon frère Denis de baisser pantalon et caleçon pour comparer nos testicules réciproques. Après des minutes interminables alors que j’étais presqu’à l’agonie, elle décréta avec la certitude des plus grands chirurgiens qu’étant tout à fait semblables à celles de mon frère, je n’avais qu’à aller me coucher au grenier et que le tout reviendrait à la normale. Comme récompense, je ne fis aucun travail à la ferme les jours suivants. Cela explique peut-être mon vœu de chasteté consacré jusqu’à ma sortie des Jésuites à l’âge de trente ans. Cela ne m'a pas empêché d'être le père de trois magnifiques enfants dont je suis tellement fier.


mardi 2 décembre 2025

Visite dans l’au-delà

 Visite dans l’au-delà

Un conte débridé de Noël


Avançant en âge, j’avais décidé de m’abonner à un gym, question de garder en forme ce vieux corps d’octogénaire. En plus de faire religieusement mes exercices, je socialisais avec d’autres personnes aussi mal foutues que moi. Comme je suis un être curieux et très intéressé par la condition humaine, je recevais assez souvent des confidences. 

Or quelques jours avant Noël, soucieux de prévoir que mon corps sorte indemne de toutes ces sortes de denrées propres à ajouter bien du poids à mon être, j’intensifiai mes exercices. Sur le point de quitter le gym ce jour-là, je vis un homme exténué qui tirait de la langue et éprouvait de la difficulté à respirer. Je voulus en savoir plus sur son état de santé. 

J’entrepris alors une longue conversation où il me raconta que pendant bien des années, il pensait souffrir d’angoisse quand il avait peine à respirer. Mais un bon jour, vraiment mal en point, il sauta dans son auto pour se rendre à une pharmacie pour quérir des pilules. Arrivé dans le stationnement, il perdit connaissance n’ayant même pas le temps de fermer le moteur. 

Il se réveilla plusieurs heures plus tard aux soins intensifs de l’hôpital. Après plusieurs examens, le médecin lui révéla qu’il avait une grave maladie pulmonaire dont j’oublie le nom et que ce problème, il le traînait depuis plusieurs années. Notre homme avait fait fausse route en pensant qu’il souffrait périodiquement d’angoisse. 

Curieux comme je suis, je lui demandai s’il s’était passé quelque chose pendant tout ce temps où il avait perdu connaissance. C’est alors qu’il me révéla ce que bien d’autres personnes ont vécu et dont ils ne parlent pas sous peine de passer pour des fous. C’est comme s’il devint un être de lumière où il se sentait tellement bien et en paix. C’est difficile à décrire et les mots manquent pour illustrer cette réalité qui dépasse tout ce qu’on pourrait imaginer. 

Alors la question existentielle par excellence fut de lui demander pourquoi il était revenu dans son corps malgré son grave problème de santé. Sa réponse fut celle que plusieurs personnes donnent. Il fallait qu’il s’occupe de sa femme qui souffrait d’une détresse mentale extrême et qui ne pouvait plus rien faire sinon rester cloîtrée dans le salon. L’amour inconditionnel de sa femme l’a fait revenir sur terre. S’il y a une chose à retenir de la venue du petit Jésus sur terre, c’est justement ce message d’amour. Cet homme l’incarnait parfaitement. Je retournai chez moi convaincu que nous, les humains, sommes plus grands qu’on a bien voulu nous le laisser croire.

 

samedi 29 novembre 2025

Cochonnerie

 

Cochonnerie

Conte débridé de Noël


Quelques jours avant Noël un massacre se préparait entre la maison et l’étable. J’étais un jeune enfant à l’époque et surtout très sensible. Un rien trahissait mes émotions. Je n’étais vraiment pas fait pour une future carrière militaire. Ma mère voulait plutôt faire de moi un futur curé. Probablement qu'elle avait mesuré toute l’étendue de ma naïveté. J’étais son candidat manipulable idéal pour réaliser son saint rêve. 

Mais revenons à notre histoire de cochon. Il fallait bien nourrir cette famille de dix enfants. Le cochon était la victime à immoler pour répondre à ce besoin vital évident. Il y avait bien pendant l’hiver le meurtre d’un veau gardé précieusement depuis le printemps précédent pour nous sustenter pour le reste de l’hiver. L’abattage de ce veau me donne encore des sueurs froides au dos. Mon père prenait le talon de sa hache en fer pour le tuer. Un coup sec le faisait tomber à genoux et un second faisait le reste. 

Mais revenons à notre histoire de cochon. Mon père était incapable de lui viser le cœur avec un couteau. Alors il faisait venir du village Paul Caron un expert en la matière. Adroitement il lui transperçait le cœur pendant que ma mère avec sa poêle recueillait le précieux sang servant à faire du boudin. Après avoir cuit ce sang avec les assaisonnements nécessaires, elle insérait habilement le tout dans les intestins du cochon. 

Mais le pire restait à venir : voir le cochon suspendu à une échelle pour mieux le dépecer. Quelle funeste fin pour cet être que j’aimais le plus à la ferme. J’aimais l’entendre grogner. Je lui donnais des pommes, des morceaux de citrouilles, des pelures de patates. Il avalait le tout et d’un coup de tête semblait me remercier. Évidement il trônait sur la table lors des repas des fêtes, mais je ne pouvais empêcher certaines images de circuler dans ma tête alors que je le mangeais. 

J’ai toujours pensé que le cochon était traité injustement. On nous disait d’arrêter de manger comme des cochons, de boire comme un cochon, de ramasser nos cochonneries. Si on n’obéissait pas, on avait une tête de cochon. J’aurais aimé que ma mère place un cochon au lieu d’un bœuf près de la crèche du petit Jésus pour le réchauffer. 

 



mercredi 26 novembre 2025

La belle Juliette

 

La belle Juliette

Conte débridé de Noël

Le Noël suivant, celui de la perte de ma toupie, mon père revint en convalescence à la maison. Ma mère en plus de s’occuper de la maison du matin à très tard le soir devint l’infirmière qui s’occupait de la plaie laissée dans le rectum de mon père. Je la vois encore avec mes petits yeux d’un enfant de sept ans désinfecter méticuleusement la dite plaie. 

Mon frère, l’aîné de la famille dut arrêter sa sixième année du primaire à l’école numéro sept du rang Sainte-Évelyne. Cette école recevait une vingtaine d’enfants de cultivateurs. Une truie, une sorte de poêle à deux ponts, réchauffait tant bien que mal la partie où étaient alignés les pupitres et l’autre partie qui servait de logis durant la semaine à notre maîtresse Thérèse Quirion. 

C’est là que je me suis rendu jusqu’à ma septième année avec des maîtresses qui se succédaient. La dernière Bibiane Labrecque fut mise à la porte parce qu’elle gardait les «cruchons» après l’école. Les cultivateurs se révoltèrent et réclamèrent le renvoi de cette femme qui retardait leurs enfants pour accomplir les travaux à la ferme. 

Faut dire que l’année scolaire avait mal commencé. Une jeune institutrice d’à peine dix-sept ans, la belle Juliette Bourque que le curé de la paroisse amenait religieusement le lundi et qu’il ramenait tout aussi religieusement le vendredi ne fit pas long feu. Elle n’avait pas les diplômes nécessaires pour enseigner et craignait la visite annuelle de l’inspecteur Pagé qui aurait découvert le tout.

Tard le soir, on cogna à la porte chez nous. Mon père dormait déjà et fut réveillé par la visite inattendue du curé qui venait implorer le paternel qui était commissaire de m’envoyer à l’école du village ainsi que Claude Quirion l’autre élève de septième année. Mon père entra dans une sainte et violente colère et indiqua au curé qu’il n’en était pas question, qu’il payait des taxes et ne pouvait envoyer son fils au village sans moyen de transport. 

C’est ainsi que ma belle jeune institutrice nous abandonna et fut remplacée plusieurs semaines plus tard par cette sévère Bibiane que les cultivateurs expulsèrent aussi. Mais je me suis égaré et j’ai sauté des années oubliant ainsi de continuer à écrire sur le retour de mon père de l’hôpital. Inutile de vous dire que ce Noël-là les cadeaux furent rares et pas question d’atteler le Negue pour aller à la messe de minuit. Le retour de notre papa fut notre cadeau de Noël.

 

dimanche 23 novembre 2025

Edgar la prune

 

Edgar la prune

Conte débridé de Noël


Quand je regardais par la fenêtre de la grande chambre où presque tous nous nous couchions en hiver, j’apercevais au loin une lumière qui brillait toute la nuit. C`était en fait la maison située près du croche dans notre rang, la fameuse courbe où mon frère aîné avait été témoin d’un terrible accident qui avait décimé la famille de Zéphirin Fortin.

         Or donc, cette maison où était accrochée cette ampoule qui me fascinait appartenait à celui qu’on appelait Edgar la prune. On devine bien pourquoi on l’avait affublé d’un tel nom. On n’a pas besoin d’avoir la tête à Papineau pour nous rendre compte de cette grosse bosse qu’il avait au front. 

Edgar n’avait jamais mis les pieds à l’église et refusait systématiquement que le curé entre chez lui lors de sa visite paroissiale annuelle. Moi à l’adolescence, alors que je fréquentais le Petit Séminaire de Saint-Georges, une usine à faire des curés, j’étais vraiment intrigué par le comportement de cet homme. Surtout que je me destinais à la prêtrise, non pas que c’était vraiment ma volonté, mais bien celle de ma mère. Rendu à son quatrième garçon, elle décida à sa naissance de lui donner comme deuxième prénom celui de Donat, en l’honneur de Donat Tanguay, un curé intégriste préoccupé par la tenue vestimentaire de ses paroissiennes. Pendant toute mon enfance et mon adolescence, on me considérait déjà comme le prêtre de la famille.

À l’adolescence étant un peu moins gêné, je décidai un vingt-quatre décembre d’en avoir le cœur net. J’allai cogner à sa porte pour lui poser des questions et vérifier pourquoi il refusait systématiquement la pratique religieuse. Il me reçut poliment et m’invita à m’asseoir à la table de la cuisine.

-        Monsieur on ne vous voit jamais à la messe et le bruit coure que vous ne croyez pas en Dieu et encore moins à son Église où il est dit : Hors de l’Église point de salut.

-        Pauvre garçon qu’est-ce que j’ai à foutre de toutes ces croyances. Toi qui veux aller à la messe de minuit, crois-tu vraiment qu’il va naître ton petit Jésus ce soir ? Crois-tu vraiment qu’une femme peut mettre un enfant au monde et rester vierge ? Tu veux devenir prêtre pour propager toutes ces balivernes ? 

Je restai bouche bée et étonné par tant de franchise. Il me parla alors longuement de toutes ces croyances comme l’infaillibilité papale, de ces saintes et ces saints que l’on invoque, de tous ces pseudo-péchés dont on s’accuse. Je constatai que cet homme était un être réfléchi dont j’admirais la franchise. Il n’était pas un mouton qui bêle comme tous les autres dans une bergerie. 

Je retournai chez moi tout remué. C’était la première fois que j’entendais de tels propos. Un doute commença à s’installer dans mon être sur la pertinence de ma future vocation sacerdotale. Mais pas assez pour y renoncer. C’est à l’aube de la trentaine après des études en théologie et étant à la veille d’être ordonné que la lumière fut et qu’Edgar devint mon modèle à suivre.

 


jeudi 20 novembre 2025

La toupie

 

La toupie

Conte débridé de Noël

 


             Je devais avoir à peine six ans, un an avant que mon pauvre papa soit hospitalisé et devienne handicapé par une funeste stomie qui le laissa invalide à trente-six ans seulement. Imaginez avoir un tel handicap quand on a déjà une famille de neuf enfants sur une terre qui pouvait à peine fournir le foin nécessaire pour ses quelques vaches.

Revenons un an auparavant et demandons à ma mémoire enfantine de raconter cette époque de Noël dans ce rang où les bancs de neige cachaient pendant l’hiver les quelques pauvres mansardes des voisins. À cette époque, je naviguais entre le rêve et le réel ayant une imagination très fertile.

        Deux événements remontent à ma mémoire. Commençons par le premier où la tradition était de nous rendre à la messe de minuit. Pas tous, car la cabine verte tirée par notre Negue, un cheval noir canadien, ne pouvait pas contenir toute cette tribu familiale. Ce soir-là vers onze heures, le temps qu’il fallait pour traverser deux longueurs de terre de trente arpents, une terrible tempête de neige s’abattait rendant le chemin à peine visible.

         Arriva ce qui devait arriver. Mon père ne pouvait plus distinguer entre ce qui était le chemin et les bancs de neige. La cabine faillit se renverser provoquant des cris stridents qui effrayèrent notre pauvre Negue. Par miracle, la cabine réussit à ne pas renverser et nous pûmes nous rendre à temps à l’église pour entendre le fameux Minuit chrétien.

Ma mère était restée à la maison pour préparer ses tourtières qu’elle nous servait lors de notre retour. Après ce copieux repas, tous les enfants regagnèrent leurs lits. Un seul poêle réchauffait la maison et on se couchait tous ensemble dans les quelques lits disponibles en haut de la trappe qui amenait de peine et de misère la chaleur.

         Le matin j’avais hâte de retrouver ce que le Père Noël avait bien pu nous apporter comme cadeau. Tous nous avions au moins une pomme et une orange et les plus chanceux une paire de bas tricoté par notre si douce et dévouée maman alors qu’elle allaitait son dernier-né. Ce Noël-là, je m’en souviendrai toute ma vie même si je suis maintenant un vieil octogénaire. Je trouvai au pied de l’arbre de Noël venant de mon parrain ou de ma marraine une belle toupie toute colorée que je pouvais faire tourner en appuyant sur le mécanisme approprié.

        Comment pensez-vous que fut la durée de vie de ma précieuse toupie, le seul cadeau que je reçus durant toute mon enfance ? À peine une journée car mes frères en âge de jouer se précipitèrent sur ma précieuse toupie qui rendit l’âme le soir même du 25 décembre. Encore aujourd’hui, inconsolable, je pleure la perte de ma précieuse toupie.

 

 

dimanche 16 novembre 2025

Si j’avais une lettre à écrire

 


Je ne sais pas à qui l’adresser

Trop de récipiendaires monstrueux

Vous les connaissez trop bien

Vous les avez dans la face sur vos écrans

 

Je leur dirais qu’ils sont des êtres primitifs

Envoyer des jeunes soldats se faire tuer

Soit pour agrandir son territoire

Soit pour voler leurs terres rares

 

Qui peut pousser une mère à envoyer son fils

Pour tuer des pauvres gens qui n’ont rien fait

Que de vouloir vivre dans la sainte paix

Pourquoi ne font-ils pas comme Boris : déserter

 

Sont-ils nés sur terre pour faire la guerre

Ne rêvent-ils pas de fonder un foyer

D’aimer leur femme et leurs enfants

Oui rêver d’un avenir meilleur

 

Désertez mes frères oui désertez

Refusez cette guerre primitive et stupide

Et mon pays qui se prépare à dépenser des milliards

Au cas où des êtres insipides viendraient

Nous attaquer nous attaquer nous attaquer

mardi 11 novembre 2025

La première neige

 


Ah ! Je contemple cette première neige !
Ma pelle n’est pas loin pour l’enlever.
Ah !  Pourtant j’habite dans un pays nordique!
Quand vais-je m’habituer à sa venue
À cette surprise que j’ai, que j’ai !

Toutes les rues gisent à peine blanches,
Ma surprise est sournoise : Et pourtant ? Et pourtant ?
Tous mes souvenirs d’été gisent effacés:
Je suis le nouveau Québécois
D’où les chauds rayons de soleil s’en sont allés.

Consolez, ce pauvre terrien,
Estomaqué par cette poudre blanche,
Riez, bipèdes de novembre,
Pleurez si vous voulez mais pas trop,
Il y a pire à quelque part sur la planète.

Ah ! Comme cette neige devrait m’exciter !
Ma joie devrait déborder.
Ah ! Il n’y a rien là !
Qu’est-ce que quelques centimètres de neige
Qui font tout le bonheur de ces enfants.

jeudi 30 octobre 2025

Un certain regard sur la femme par un homme

 


Entreprise très hasardeuse pour l’homme que je suis de m’aventurer sur ce terrain probablement miné. Je vois déjà les dames qui me lisent régulièrement esquisser un certain sourire sceptique. Que va-t-il écrire d’intelligent sur nous?

Dois-je rappeler que c’est une femme qui m’a mis au monde et qui m’a allaité. Déjà cela suscite chez moi toute une admiration d’autant plus que cette mère a répété ce geste avec dix autres enfants pendant qu’elle avait à gérer en même temps tous les travaux de la maison.

J’ai aussi comme expertise d’avoir observé pendant près de cinquante ans la femme que j’ai amenée dans ma vie. Il y a bien aussi ma fille, mes petites-filles, mes sœurs, mes tantes. Cela me donne une connaissance pratique et non théorique.

Quand j’observe une femme avec sincérité, je découvre un être qui échappe à toute possession. Elle n’appartient à personne sinon à elle-même, et c’est justement dans cette liberté qu’elle révèle son mystère.

Quand je vois ces femmes sur mon petit écran tellement souffrir d’injustices dans divers pays où elles tiennent le pays à bout de bras où on les prive du droit d’être tout simplement elles-mêmes, cela m’arrache le cœur. Femmes qui me lisez imaginez-vous à Gaza, à Kaboul ou en Iran avec ces Ayatollah.

La femme n’est pas l’ombre de l’homme, pas plus qu’elle n’est son adversaire. Elle est son égale en dignité, en puissance de vie, en capacité d’aimer et de transformer le monde. Quand je regarde la femme, j’apprends à me regarder moi-même autrement : avec humilité, avec respect, avec la conscience que la vie ne s’accomplit jamais sans l’autre.

Ainsi, ce regard que je pose n’est pas celui de la possession, mais celui de la gratitude. Gratitude envers celles qui tissent l’humanité dans l’ombre et la lumière, dans l’amour et la douleur, dans la dignité d’être femme.

Alors, face à la guerre, à la domination, à la violence, il reste à choisir ce regard. Celui qui dit non à la possession et au meurtre, et oui à la rencontre et à l’avenir.

samedi 25 octobre 2025

Réflexion sur le temps

 


Je ne sais pas si le fait qu’une autre année va s’ajouter à mon existence terrestre que je me suis réveillé en me posant cette question : Qu’est-ce que le temps? Cette alternance entre le jour et la nuit n’est-ce pas cela qui me fait mesurer le temps? Si je vivais dans les  pôles de mon globe est-ce que ma façon de voir le temps serait la même? J’en doute énormément.

Dans ma jeunesse où j’ai vécu ces huit années du  cours classique qu’il était long le temps pour arriver à la prise de ruban. Lors de ces vacances d’été je trouvais que le temps courait trop vite. Pourtant quand l’octogénaire que je suis regarde le temps écoulé il trouve qu’il fut très court.

Quand je visite ma nonagénaire de tante qui me parle à chaque fois qu’elle veut arrêter sa destinée terrestre et vouloir que son âme quitte son vieux corps, je me demande pourquoi cet empressement d’arrêter le temps qui égrène sa vie. Sera-t-elle plus heureuse hors de son corps matériel?

J’ai beau lui expliquer que dans son au-delà elle passera bien du temps à se remémorer le bon temps qu’elle a passé sur sa terre beauceronne. Pourquoi cet empressement puisque que c’est dans son corps matériel qu’elle pouvait vivre des expériences et meubler cette mémoire que son âme emportera dans son nouveau monde où il n’y aura plus la nuit et le jour pour le découper.

Longtemps, j’ai cru que le temps se mesurait en années, en événements, en réalisations. J’ai compté les jours, les saisons, les projets accomplis. Mais plus j’avance, plus je comprends qu’il se mesure autrement : en profondeur vécue, en paix intérieure, en gratitude.

Ce que je prenais jadis pour des pertes — la disparition d’êtres chers, l’effacement de certaines forces, la lenteur des gestes — devient aujourd’hui une autre forme de connaissance : celle de la finitude acceptée.

Boire un café chaud le matin, marcher lentement, observer un oiseau dans le jardin — tout cela prend une importance nouvelle, parce que je sais que rien n’est garanti, que tout est grâce si ce mot veut dire encore quelque chose aujourd’hui. Je termine en écrivant que vieillir, c’est entrer dans une autre qualité du temps.

Le site de mes écrits : jacques.rancourt.org

samedi 4 octobre 2025

M’as-tu oubliée?

 


Comment pourrais-je t’oublier chérie

Après cinquante ans de vie ensemble

Rien n’a tellement changé dans ta maison

Mais seulement ta présence me manque

 

Comme promis lors de ta fin de vie

Je veille sur les tiens et les miens

On n’oublie aucun de tes anniversaires

On t’imagine encore parmi nous

 

Et toi dans ton nouvel univers

As-tu retrouvé ta parenté

Est-ce que la terre te manque

Aimerais-tu retrouver ton corps

 

De ce côté-ci ce n’est pas drôle

Vraiment tout craque de partout

Le chemin devant semble tortueux

Aucune lumière au bout du tunnel

 

Les notes de mon piano me consolent

J’arrose tes fleurs

Surtout ta langue de feu

Que tu aimais tant

mardi 16 septembre 2025

Il n’y a que l’amour qui compte

 


Ce matin je croisai cet arbre

Qui déjà comprend que l’automne

Se pointe le bout du nez

 

Une chose m’apparaît évidente

C’est l’importance de l’amour

Il n’y a que cela qui compte vraiment

 

Cet amour tant recherché

Cet amour tant chanté

Cet amour de tout être vivant

 

Hélas tout s’efface,

Les jours, les saisons,

Les voix qui passent.

 

Reste une braise,

Dans l’ombre et la lumière

Qui éclaire nos pas fragiles

 

Les richesses s’éteignent

Les gloires se dissipent

Les certitudes se brisent

 

Mais un regard

Une main posée

Un souffle partagé,

Voilà l’amour qui compte

 

jeudi 21 août 2025

Ces guerres dont j'ai honte

 


Jamais je ne crierai assez fort mon dégoût face à cette guerre actuelle. Je ne commencerai pas à distribuer les torts, à jouer au gérant d’estrade, à faire la morale.

N’empêche que j’ai honte de l’espèce humaine. Nous assistons à ce qu’il y a de plus laid : la destruction systématique des êtres humains.

Voilà où mènent les idéologies, la soif de domination, l’ego orgueilleux, l’incapacité de neutraliser ses mémoires antérieures.

Nous assistons à une forme de maladie mentale collective où les plus souffrants sont les acteurs de cette guerre. Pauvres soldats manipulés naïvement et inconsciemment pour servir les intérêts qui sont bien loin d’un début de conscience réelle !

Un individu moindrement conscient refuserait de donner sa vie pour des valeurs qui n’ont aucune prise sur la réalité. Ces valeurs sont des constructions virtuelles créées de toute pièce pour agir comme moteur de mise en action des individus.

J’ai dans ma bibliothèque un livre qui parle de ces malades qui nous gouvernent. Il est d’une totale actualité. C’est vrai qu’on a les dirigeants qu’on mérite. Quand l’individu deviendra plus centrique, il choisira des dirigeants intelligents i.e. capables de faire avancer leur peuple dans le respect des différences individuelles. Le pouvoir sera un instrument au service de la collectivité et non au service de l’ego du dirigeant.

Comment se fait-il qu’à l’aube du 21e siècle, les individus confient leur destinée à des malades assoiffés de pouvoir qui n’ont aucun respect, aucun sens des responsabilités ?

Cette guerre coûte des milliards de dollars. Il est quasi impossible de mesurer toute la souffrance humaine causée aux innocentes victimes. Et pourtant que de besoins urgents partout sur la planète !

 J’ai vraiment honte. J’espère que cette guerre va ouvrir les yeux de plusieurs, qu’elle va permettre de découvrir ce qui se cache derrière le miroir de la propagande, de la manipulation, du lavage de cerveau, du conditionnement.

Apprendre à ne pas croire sera la suprême protection de l’être humain. Il découvrira que la conscience ne peut venir de ce qui est collectif. La démarche vers la conscience est hautement individuelle. La lutte se fait dans son territoire secret.

 Changer sa perception du monde, prendre ses distances par rapport à son passé et aux idéologies, découvrir que la paix de l’esprit est d’une importance capitale, tout cela est un travail qui se fait en secret à l’intérieur de lui-même.

S’il ne fait pas ce travail vers la conscience, eh bien il croira ses dirigeants, ses idéologues, les gourous de tout acabit. Il ira faire la guerre au nom de la défense des libertés. Il donnera sa vie, son bien le précieux au premier venu qui lui fera croire qu’il doit agir ainsi. S’il refuse, on le culpabilisera, on le traitera d’égoïste, on le moralisera à qui mieux mieux et on le rejettera même de sa société.

C’est alors qu’il découvrira que même si la collectivité pense et agit d’une certaine manière ancestrale, il se doit d’être différent, non par attitude, mais parce que ses réponses sont les seules valables dans la conduite de sa vie. Il ne peut vraiment pas confier sa vie à un autre bipède sans plumes. Il doit garder la main sur le gouvernail pour diriger sa barque lui-même où il voudra bien.

jeudi 7 août 2025

Les mauvaises herbes

 


Ton titre mon poète n’est pas tellement poétique

Bon encore un préjugé tenace qui ne tient pas la route

Loin de moi qui suis un admirateur inconditionnel de la nature

De porter un tel jugement judéo-chrétien sur mes herbes

 

Non elles ne sont pas mauvaises point du tout

Au contraire je les trouve tellement belles

Évidemment difficile de battre mes hémérocalles

En beauté en splendeur et même en arrogance

 

Mais ces nombreuses herbes que je viens d’épargner

En tondant ma pelouse en ce matin ensoleillé

Témoignent de mon profond respect envers elles

Oui je sais qu’elles se font arracher sans vergogne

 

Même une de ces plantes qui a osé sortir de mon bitume

J’ai hésité très longuement avant de l’enlever

J’en ai encore des remords lancinants

De quel droit me suis-je permis de mettre fin à sa vie

 

Vous qui lisez mes poèmes vous savez très bien

Que j’arracherais volontiers certaines herbes humaines

Qu’on peut avec raison qualifier de mauvaises

Pour ces humains qui ne sont pas des milliardaires

 

Oui à ces mauvaises herbes humaines

J’imposerais de gros tarifs

Je les enverrais dans l’Alcatraz Alligator

Un air frais se répandrait sur notre planète

 

La beauté n’est pas toujours où l’on pense

mardi 22 juillet 2025

Une vache de leçon


Je passais par là

Elles étaient pourtant là

L’une me regardait attentivement

Les autres me tournaient le dos dans l’indifférence

 

Celle qui me regardait

La bouche grande ouverte

Me disait de passer mon chemin

Que j’avais autre chose à faire

 

Je m’arrêtai tout de même

Je voulais savoir ce qu’elle pensait

Je voulais découvrir son monde intérieur

Je voulais développer un animal intérêt

 

Si tu savais mon pauvre blogueur poète

Comme je suis bien ici dans mon champ

Je broute et je rumine et je donne mon lait

Que veux-tu de plus simple mon poète angoissé

 

Mais tu ne crains pas la vache folle

Mais tu ne crains pas la grippe aviaire

Mais tu ne crains pas la maladie du hamburger

Mais tu ne crains pas la pollution atmosphérique

 

Arrête de ronger ton frein mon blogueur poète

Tes problèmes sont plus graves que les miens

Sida drogue hépatite b famine guerre

Regarde-moi ruminer sous mon arbre

 

Je suis en paix avec moi-même

J’ai reçu avec plaisir la semence du taureau

Je te regarde passer épouvanté

Va ton chemin et ne pense plus à  moi

dimanche 20 juillet 2025

Belles de jour

 

Juste te contempler me suffit

Oui t’admirer seulement

C’est déjà le plus beau poème

Mes vers deviennent inutiles

 

Si malgré tout j’écris

C’est pour crier ta beauté

Toi qui ne me demandes rien

Sinon un frisson passager


 Un seul jour vous suffit

Pour me troubler

Pour chérir l’éphémère

Avec un goût d’éternité


Mais l'humain que je suis

Témoin du chaos actuel

Retrouve la sainte paix

Quelques instants auprès de toi

Parfois on cherche au loin

Alors que la beauté est là

Tout près de soi

À peine ouvrir les yeux 


Ta beauté éphémère

M'indique que l'instant suffit

Savourer cet instant de grâce

Me suffit tout simplement présent

Hélas bientôt vous ne serez plus là

Telle une ami qui se meurt

Devant l'inévitable destin

D'une vie si éphémère


Mes yeux se tourneront

Vers d'autres horizons

Sachant que d'autres splendeurs

Ne demandent qu'à être contemplées


Un sentier un détour un lac à travers les branches

Tout peut émerveiller mes yeux

Me faire oublier le chaos actuel

Savourer la sainte paix tout simplement